Avant les urnes, au tribunal de départager Eva Joly et Marine Le Pen
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Eva Joly Roubaix

A une semaine du scrutin, la campagne présidentielle s’est invitée lundi au tribunal correctionnel de Paris par le truchement d’une poursuite en diffamation engagée par Marine Le Pen à l’encontre de sa rivale écologiste Eva Joly.

Période électorale oblige, l’affaire a été examinée de toute urgence et la décision sera rendue jeudi à 13H30.

Les propos litigieux remontent au 10 avril. Avant de se rendre à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), ville symbole de la percée de Marine Le Pen dans le Nord-Pas-de-Calais, Eva Joly avait déclaré dans un entretien avec Jean-Jacques Bourdin (RMC-BFMTV) que son adversaire du Front national était « l’héritière de son père milliardaire par un détournement de succession ».

L’ancienne magistrate faisait allusion à l’héritage qu’avait reçu Jean-Marie Le Pen dans les années 1970 d’un de ses amis, Hubert Lambert, et qui avait donné lieu à un début de conflit avec la famille du défunt, avant un règlement à l’amiable.

Faisant référence au scandale touchant la fédération socialiste du Pas-de-Calais, Eva Joly avait ajouté que le FN ne faisait que remplacer « un clan par un autre. En quoi est-ce que Marine Le Pen sera plus propre que ne l’étaient les autres? »

Pour ces propos qu’elle juge diffamatoires, la candidate du FN à l’Elysée réclame à Eva Joly 20.000 euros de dommages et intérêts.

« Je m’étonne que Marine Le Pen qui ne s’exprime pas avec des roses et qui est souvent très violente (…), a estimé utile d’instrumentaliser (…) la justice », s’est défendue lundi la candidate EELV, derrière ses indéfectibles lunettes vertes.

Marine Le Pen « se donne pour la seule femme vertueuse qui va pouvoir corriger toute la corruption de l’UMP et du PS », a-t-elle déploré, assurant qu’elle n’avait voulu que « dénoncer la démagogie de cela ».

« J’ai voulu rappeler d’où venait la fortune de la famille Le Pen », a encore dit l’ancienne juge d’instruction: alors qu’elle se veut « la candidate des pauvres », « elle vit dans un château », et « c’était mon rôle en tant que femme politique de mettre cela sur la table ».

En l’absence de sa cliente, Me Wallerand de Saint-Just a plaidé que « tous les éléments de la diffamation sont réunis ». Une diffamation « inacceptable » à ses yeux et ce, même si « la liberté d’expression est plus grande » en temps de campagne électorale.

« Mme Joly croit qu’elle est une championne de la lutte anticorruption, ce n’est pas vrai, c’est une championne de la diffamation », avait-il accusé en marge de l’audience.

« Quand on a été 30 ans magistrat, on ne diffame pas ainsi », a brocardé le conseil, avant de réclamer réparation pour sa cliente qui « n’accepte pas que son honneur puisse être traîné dans la boue ».

Le parquet n’a pas été convaincu. « Pour moi, l’imputation est à l’encontre de M. Le Pen et non de Mme Le Pen », a ainsi expliqué lors d’un réquisitoire-éclair la représentante du ministère public, Diane N’Gomsik. « Vous ne pourrez que relaxer » Mme Joly, « car à mon sens, (Marine Le Pen) n’est pas visée », a-t-elle conclu.

Me William Bourdon n’a pu s’empêcher d’acquiescer. Me Wallerand de Saint-Just « a fait mine de plaider pour la fille, mais en fait, il a plaidé pour le père », a estimé l’avocat d’Eva Joly, en regrettant la présence de « la statue du commandeur qui plane sur cette audience ».

« Il est rarissime, a-t-il mis en garde le tribunal, que l’autorité judiciaire rende une décision qui soit de nature, à quelques encablures de la présidentielle, à procurer directement ou indirectement un avantage ou un inconvénient à l’une ou l’autre » partie.

Stigmatisant « une tentative de hold-up judiciaire » de la part de Marine Le Pen, il a regretté que « le vice, comme la murène dans le trou, cherche toujours à se protéger derrière l’apparence de la vertu. »

Par Dorothée MOISAN

PARIS, 16 avril 2012 – AFP