Non seulement Jean-Luc Mélenchon fait une bonne campagne, mais sa conversion écologiste a les accents de la sincérité.
Toutefois, un examen attentif de son discours et de celui du Front de Gauche, notamment sur la « planification écologique », révèle des creux abyssaux sur le contenu même et les méthodes de cette planification. Il n’y a en réalité qu’une planification écologique proposée actuellement aux électrices et électeurs : par Eva Joly et Europe-Écologie.
Jean-Luc Mélenchon fait une campagne remarquable. C’est un réel plaisir de voir l’art oratoire mis au service de l’espérance et de la mobilisation populaire. Son succès dans les sondages révèle une volonté du « peuple de gauche » de ne pas laisser un blanc-seing à son « candidat officiel », François Hollande, qui n’a pas su, jusqu’à présent, se hisser au niveau rooseveltien qu’exigent l’ampleur et la profondeur de la crise mondiale actuelle.
Indéniablement, Jean-Luc Mélenchon a su par ailleurs attirer à lui bon nombre de militants incontestables de l’écologie politique (comme Jacques Testart) et saura, vraisemblablement, attirer à lui une partie des voix écologistes déçues par la médiocrité de l’accord entre Europe-écologie et le Parti socialiste.
Sa conversion personnelle à l’écologie nous est révélée par l’entretien qu’il a accordé à Hervé Kempf pour le site Reporterre. Pour quiconque est, comme moi, passé « du Rouge au Vert », les accents de cette conversion sont d’une sincérité indiscutable. En témoignent, pour qui en douterait, la précision et la compétence des discussions théoriques abordée dans cet entretien.
Toutefois, c’est dans le cours même de cette interview que l’on comprend le chemin qui reste à faire à Jean-Luc Mélenchon, et encore plus à l’ensemble du Front de Gauche, Parti communiste y compris. A la date d’aujourd’hui, et sans doute pour encore bien des années (malheureusement ?), le Front de Gauche, son leader, et une bonne partie de ses organisations restent encore trop loin de l’écologie politique pour que l’on puisse y reconnaître le pôle d’expression de ce que Jean-Luc Mélenchon désigne lui-même – faisant explicitement référence à mon œuvre théorique – comme « le paradigme refondateur de la Gauche ». Malgré l’acharnement de la direction actuelle de EELV a raboter, avec succès, l’acuité de la campagne d’Eva Joly, seul le vote pour celle-ci permet aujourd’hui d’affirmer la volonté, qui est celle d’une part importante du camp progressiste, de rechercher dans les solutions de l’écologie la sortie de la première grande crise du 21ème siècle.
Je ne chipoterai pas sur les points théoriques importants que soulève l’interview de Jean-Luc Mélenchon. En quelques mots, il reprend l’essentiel : la question de l’intérêt général. Passer du Rouge au Vert signifie en effet passer d’une problématique de « l’intérêt de classe » (ouvrière) à la problématique de l’intérêt général de toute l’humanité. Certes, conformément au schéma de L’idéologie allemande (l’autre référence de Jean-Luc Mélenchon, à laquelle reste fidèle), il cherche encore à trouver dans une classe particulière la représentation de cet intérêt général : la classe ouvrière, parce que principale victime de la dégradation écologique. J’ai montré, il y a longtemps, que cela ne suffit pas. Chez Marx, la classe ouvrière était, en plus, la classe des producteurs. Or on peut être classe des producteurs en étant classe du productivisme. La reconquête de la fierté du producteur est un défi incontournable pour la gauche, mais ce producteur se doit être producteur d’un intérêt général pour jouer un rôle historique. Ce qui m’a amené à une définition plus subjective de la « classe porteuse de l’intérêt historique de toute l’humanité », les « artisans et ingénieurs du bonheur », » les « hussards verts de l’écologie » : les militants de l’économie sociale et solidaire, les syndicalistes autogestionnaires, les personnels de la santé et de l’éducation conscients de la dimension « universaliste » de leurs métiers… Mais le débat théorique avec Jean-Luc Mélenchon ne fait que commencer.
Non, ce qui me stupéfait, c’est la phrase : « La synthèse de l’ancienne gauche et de l’écologie, c’est la planification écologique ». J’aurais admis : « La synthèse, c’est le contenu de la planification écologique proposée ». Mais il suffit de lire la documentation du Front de gauche ou même du Parti de gauche pour constater que, dans cette campagne, aucune planification écologique n’est proposée par eux aux électrices et électeurs. Pire : dans cette petite phrase de Jean-Luc Mélenchon, « planification » représente le Rouge, « écologique » représente le Vert. Brandir la juxtaposition de ces deux mots suffirait à cristalliser la synthèse du Rouge et du Vert.
J’ai été, jusqu’à mon élection en 1999 au Parlement européen, chercheur au Centre d’Etudes Prospectives d’Economie Mathématique Appliquées à la Planification, laboratoire commun au CNRS et au Commissariat Général du Plan. Le CEPREMAP est un machin qui fut créé sous le régime gaulliste et qui existe encore. Le Commissariat du Plan fut créé à la Libération, défendu par les hauts technocrates de la reconstruction productiviste (Pierre Massé : Le plan ou l’anti-hasard), exalté par le Général de Gaulle (Le plan, ardente obligation) et, il est vrai supprimé par la droite de de Villepin et Sarkozy.
Je n’ai jamais pensé qu’en soi les mots plan et planification soient de gauche, encore moins écologistes. Non seulement ils ont servi aux ambitions productivistes et nationalistes de De Gaulle, mais ils ont servi et servent encore de méthode de direction aux dictatures les plus totalitaires et les plus inefficaces, de Staline à la dynastie coréenne des Kim en passant par la dynastie cubaine des frères Castro. Exalter la planification écologiste sans dire laquelle, c’est tout simplement se moquer du monde.
Qu’est-ce en effet que la planification ? C’est un processus, plus ou moins démocratique (et c’est le premier problème), plus ou moins adaptatif (et c’est le second problème), de mise en cohérence de plusieurs plans sectoriels et régionaux, fixant des objectifs quantitatifs et datés (et c’est là le contenu et la question essentiels de la notion de plan), et les instruments conduisant les divers agents de la société, entreprises, administrations, ménages, institutions financières, a obtenir, dans les délais, les résultats fixés par ces plans (et c’est le troisième problème).
Europe-Écologie – Les Verts, par exemple, dans son programme Vivre mieux, ne propose rien d’autre aux électeurs qu’un plan et les moyens d’y parvenir. Il fixe avec précision le rythme de sortie du nucléaire, et les objectifs de réduction de gaz à effet de serre de la France à l’horizon 2020 ; il accompagne ces objectifs d’autres plans permettant d’obtenir de façon cohérente ce résultat : rythme de rénovation du bâti, rythme d’extension de l’offre d’alimentation bio. Le tout est présenté comme une ardente obligation de la part des administrations publiques (et notamment des administrations locales chargées de la restauration collective) ; sont proposés des instruments (règlements, quotas, subventions et écotaxes) permettant la convergence des comportements vers les objectifs ainsi fixés, proposés aux débats publics et au vote des citoyens. Ce plan, développé par le mouvement associatif sous différentes variantes, a été testé positivement sur un modèle simple conçu au Cired-Cnrs puis sur le modèle ThreeMe de l’ADEME et de l’OFCE, il a fait l’objet d’arbitrages internes du part EELV, qui le propose pour finir au vote des citoyenNEs.
Absolument rien de tout cela dans le programme du Front de gauche et dans le discours de Jean-Luc Mélenchon. Certes, il confie de temps en temps qu’il est personnellement pour la sortie du nucléaire. En 5 ou 10 ans comme le propose l’association Sortir du nucléaire ? En 20 ans comme le propose l’association Négawatt, compromis qu’Europe Ecologie propose aux électeurs d’adopter, malgré ses risques plus prolongés ? Au rythme de 6 réacteurs dans le prochain quinquennat (nouveau compromis EELV-PS) ? En fermant seulement Fessenheim dans les 5 ans comme le propose François Hollande ? Nous ne le saurons pas : Jean-Luc Mélenchon sait très bien qu’il n’est pas du tout suivi par la base organisatrice de sa campagne, c’est à dire le Parti communiste. En réalité, il est probable que, si le Front de Gauche fait un carton aux deux élections à venir, Fessenheim ne sera même pas fermé.
La sortie du nucléaire est donc pour Jean-Luc Mélenchon une « opinion privée », au sens où le droit de vote des immigrés l’était pour François Mitterrand : une sensibilité, mais pas un engagement politique. Comment, dès lors, esquisser la moindre planification écologique que ce soit quand cette composante essentielle (78% !) du système électrique français, serait, sous une gestion Front de gauche, maintenue…. ou pas ? Certes, « le nucléaire n’est pas tout », mais on n’a pas non plus de précision sur l’objectif de réduction du gaz à effet de serre, la place sur le sol français accordée à la production de biomasse-énergie, donc l’engagement de la France sur le front alimentaire, etc. Et encore moins disposons nous d’information frontdegauchiste sur les instruments de cette planification.
Instruments, dont on sait d’ailleurs qu’au sein du Front de Gauche ils sont l’occasion de la plus incroyable cacophonie théorique. L’Union Européenne, comme les autres signataires de l’accord de Kyoto, ont adopté la forme de planification la plus soviétique : la méthode des quotas. De période en période, on fixe les objectifs de réduction en termes quantitatifs. Chaque sous-ensemble est alors chargé de se débrouiller comme il peut pour « remplir le plan », sous peine de sanctions financières. Certes, et c’est une flexibilité que les pays du camp soviétique n’ont adopté que tardivement et en tout cas trop tard, une possibilité est ouverte d’échanger les quotas surnuméraires ou manquants sur un second marché. Mais en tout cas, le système des quotas s’appuie sur une décision administrative plus ou moins bien négociée. Elle doit s’accompagner, si la planification est bien faite, d’autres objectifs de développement des économies d’énergie ou des énergies renouvelables. Au niveau européen, ces différents plans sont longuement discutés avec les représentants de la société civile avant d’être adoptés par un mécanisme complexe de négociation entre les Etats et la représentation directe des citoyens, le Parlement européen. Et comme les Européens ont choisi, ces dernières années, des majorités productivistes et de droite, ces plans sont trop laxistes, et c’est leur principal défaut, mais c’est la règle du jeu démocratique.
L’autre méthode principale, celle des écotaxes, est tout aussi intéressante. Mais il faut bien comprendre qu’elle est strictement marchande : chacun a le droit de polluer autant qu’il veut, à condition d’en payer ce droit inclus dans le prix de la marchandise qu’il achète. Or, dans la littérature de la gauche de la gauche qui appuie aujourd’hui la candidature de Jean-Luc Mélenchon, la méthode des quotas (c’est à dire la planification en quantité datée) est vilipendée, la méthode purement marchande (les écotaxes qui ne font qu’inciter les consommateurs et producteurs à aller dans une certaine direction) est la seule admise !
Mais le plus grave est sans doute le contexte de cette interview de Jean-Luc Mélenchon. Significativement, il accueille Hervé Kempf devant un drapeau français : comme s’il ignorait que la double crise écologique mondiale (alimentation/santé, énergie/climat) ne peut être utilement combattue qu’à l’échelle des continents, voire directement à l’échelle mondiale, et en tout cas à l’échelle de l’Union européenne. Cette dénégation du cadre incontournable, non seulement de la lutte des classes (ce qu’avait compris André Gorz, comme tant d’autres choses essentielles, dès 1964), mais aussi – c’est encore plus évident – de la lutte écologiste, est la principale faiblesse du Front de Gauche.
Et c’est l’une des principales raisons de voter Eva Joly et pour les candidats d’Europe Écologie. Jean-Luc Mélenchon, sans doute pour faire oublier son passé maastrichtien (ah ! son terrible discours contre le Danemark qui avait eu le front de voter Non !) en rajoute, de jour en jour, dans la défense de l’intérêt national, oubliant ses belles paroles sur l’intérêt général de l’humanité toute entière. Oubliés les discours de Victor Hugo, Karl Marx et Jaurès pour les États-Unis d’Europe.
Oubliés, d’autre part, 70 ans de réflexions sur ce que pourrait être une planification démocratique. Pour Jean-Luc Mélenchon, Cuba n’est pas une dictature… A cela seul, on présume de ce que serait sa conception d’une planification écologique (élaboration et instruments) s’il en proposait une!
Oui, la seule planification écologique et démocratique, c’est Europe Écologie qui la propose. Et pourtant, paradoxe d’une élection présidentielle où le symbole prime sur le contenu, le Front de Gauche est crédité du mot, Europe Écologie n’est pas crédité de la chose. Pourtant, les Verts ont toujours défendu la planification écologique, que ce soit à l’échelle européenne ou dans le cadre de la planification « à la française » : voir le discours de la ministre Dominique Voynet pour le 50ème anniversaire du Commissariat Général du Plan.
Pour la petite histoire : dans le cadre de l’équipe projet d’Europe-Écologie, j’avais été chargé de rédiger le chapitre « planification ». Mais le groupe dirigeant, qui cherche avec succès à brider la campagne d’Eva Joly pour ne pas nuire au candidat socialiste (ce qui est de moins en moins justifiable, au fur et à mesure que l’ombre du 21 avril 2002 s’efface des sondages), a fait sauter au dernier moment ce chapitre du programme de EELV, sans doute afin d’en dimineur la portée opérationnelle (et , on le voit au succès du discours de Mélenchon, la charge émotive et symbolique). Du coup, je l’ai réintroduit, enrichi de 25 ans de débats dans le parti Vert et EELV, pour en faire un chapitre spécial de mon livre Green Deal. La crise du libéral productivisme et la solution écologiste…
Mais sur le fond, sur le contenu et sur la méthode, encore une fois, il n’y a pas d’autre planification écologique au menu de ces deux élections que celle que propose Europe-Écologie-Les Verts.
11 Avril 2012 Par alain@lipietz.net
Les blogs de Médiapart
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Intervention de Jean-Luc Mélenchon, sénateur PS de l’Essonne, le 9 juin 1992, dans la discussion au Sénat sur le projet de loi constitutionnelle préalable à l’adoption du traité de Maastricht. Le texte est copié du Journal officiel.
Sénat, séance du 9 juin 1992
Examen du projet de loi constitutionnelle préalable à l’adoption du Traité de Maastricht.
Extrait du Journal officiel.
M. le Président. La parole est à M. Mélenchon. (applaudissements sur les travées socialistes).
M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, monsieur le ministre d’Etat, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le vote du Danemark a pesé assez lourd sur le déroulement de nos débats pour que certains de nos collègues aient, à un moment, jugé opportun de faire un tableau justifié et apprécié des vertus de ce « grand petit peuple ». Tableau justifié et apprécié, certes, mais incomplet : que de leçons seraient encore à tirer des vertus des Danois, clamées ici et portées si haut ? Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? J’ai pensé, mes chers collègues, que vous apprécierez que l’on complétât ce tableau en rappelant qu’il y aurait peut-être quelque chose à apprendre des Danois en examinant le régime qu’ils appliquent aux étrangers aux élections locales ! (applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Sans cette précision, que vaut ce portrait ? Rien, comme bien des prétextes qui ont été avancés dans la discussion. Le vote des étrangers aux élections locales, qui a occupé tant de place dans la presse, a pris parfois un tour dur, injuste, blessant, lorsque, le prétexte se révélant trop inconsistant, il a fallu ajouter derrière le Belge ou l’Italien, qui ne faisaient peur à personne, l’ombre de l’Africain et du Maghrébin, qui paraît-il, sont ce qu’il y a de pire. Or, pour la majorité d’entre nous, Africains et Maghrébins sont des amis et nous espérons bien voir un jour le suffrage universel étendu à tous. Certains ont prétendu que nous serions incapables de répliquer à l’argument selon lequel toute la procédure engagée devant notre assemblée résulterait d’un contresens, le traité étant devenu inapplicable et caduc. L’essentiel a déjà été dit à ce sujet. Mais quoi ? après tant de gargarismes sur la grandeur de la France, sur son rôle dans le monde, on trouverait bon, un des partenaires venant à faire défaut, de renoncer à tout, en particulier à la volonté que nous portons en nous de faire l’Europe ?
N’ayons pas honte de ce traité. Déjà, il va au-delà de la situation actuelle, il constitue une avancée.
En tant qu’homme de gauche, je souhaiterais me tourner un instant vers certains de nos amis (l’orateur se tourne vers les travées communistes) pour leur faire entendre que Maastricht est un compromis de gauche : pour la première fois, dans un traité de cette nature, des mesures d’encadrement du marché sont prévues ; pour la première fois, citoyenneté et nationalité sont dissociées ; pour la première fois, les syndicats vont être associés aux processus décisionnels. (protestations sur les travées communistes. – Applaudissements sur les travées socialistes.)
Mme Marie-Claude Beaudeau. Les chômeurs vont disparaître ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Si l’on veut dresser un tableau complet, tout cela doit être dit.
Politique politicienne, paraît-il. Nous gouvernerions ce pays l’œil rivé sur le rétroviseur, nous demandant ce que les uns ou les autres vont penser de ce que nous avons conclu. Vous plaisantez ! Aucune cause franco-française, à plus forte raison aucune cause de lutte politicienne ne parvient au niveau auquel se situent les enjeux de Maastricht. S’il en résulte un peu de désordre parmi vous, nous ferons avec !
Mme Hélène Luc. Pour le désordre, vous pouvez parler, parce que chez vous…
M. Jean-Luc Mélenchon. Le fil noir de l’intégration serait, a-t-on dit, un projet sans flamme ; on vérifie une fois de plus que la flamme ne s’allume pas aux mêmes objets pour tous ! Mais l’intégration représente un plus pour nous ; la construction de la nation européenne est un idéal qui nourrit notre passion. Nous sommes fiers, nous sommes heureux de participer à cette construction. Nous sommes fiers de savoir qu’il va en résulter des éléments de puissance, qu’un magistère nouveau va être proposé à la France, à ma génération, dans le monde futur, qui est monde en sursis, injuste, violent, dominé pour l’instant pas une seul puissance. Demain, avec la monnaie unique, cette monnaie unique de premier vendeur, premier acheteur, premier producteur, représentant la première masse monétaire du monde, l’Europe sera aussi porteuse de civilisation, de culture, de réseaux de solidarité, comme aujourd’hui le dollar porte la violence dans les rapports simples et brutaux qu’entretiennent les Etats-Unis d’Amérique avec le reste du monde.
M. Emmanuel Hamel. Et la violence du 6 juin 1944 !
M. Jean-Luc Mélenchon. Il ya ici assez d’Européens de longue main pour regretter la décision des Danois sans se laisser pour autant détourner des objectifs qu’ils poursuivent et poursuivront sans relâche. Il y va, je le répète, d’un enjeu de civilisation. L’alternative au monde violent et injuste, où la chute du mur de Berlin reçoit en écho les émeutes de Los Angeles, c’est l’avènement de la nation européenne porteuse de paix, de civilisation et de solidarité.
M. Félix Leyzour. Cela commence bien !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et nous ne serons jamais autant Français qu’en y jetant toutes nos forces. On a invoqué ici, de nombreuses fois, la tradition républicaine de la France pour argumenter contre le progrès de la citoyenneté européenne que constitue le droit de vote accordé aux étrangers communautaires. C’est à mes yeux commettre un contresens et faire preuve d’un archaïsme totalement contraire à la philosophie politique qui a présidé à la fondation de la République dans notre pays et qui garantit la continuité du principe républicain et sa formidable prégnance.
On a dessiné devant nous une identité de la France quasi métaphysique, dans laquelle la souveraineté nationale est confondue avec ses instruments, dont la pérennité tracerait la frontière entre la vie et la mort de la nation. Contresens !
La nation est un mot nouveau qui est né pendant la Révolution française, par opposition au morcellement féodal des peuples de France sous la monarchie.
La nation est le lieu de la citoyenneté ; elle n’est ni éthique, ni religieuse, ni linguistique. La citoyenneté est dans l’exercice collectif du pouvoir. Là où est le pouvoir réel, là doit s’exercer la citoyenneté. Là où est la citoyenneté, là est la nation.
Tout se tient dans la tradition française entre la démocratie et la nation. Si le pouvoir réel de maîtriser notre destin ne peut prendre toute sa réalité économique et sociale qu’à l’échelle de l’Europe, alors, les vrais démocrates ne peuvent que vouloir l’avènement de la nation européenne et, avec elle, de la citoyenneté européenne.
Mes chers collègues, quand on aime la France – et on peut l’aimer de bien des façons – on sait qu’on ne peut la faire dans un seul pays.
La véritable polarisation du débat politique est là, elle traverse l’histoire de nos deux siècles de République. D’un côté, le conservatisme – ce n’est pas honteux – qui s’oppose à chaque étape au processus qui voit la citoyenneté étendre son rôle. De l’autre, le camp du progrès, qui saisit toutes les occasions de confier le pouvoir réel au plus grand nombre et qui, pour cela, parie toujours sur la dimension universelle de la personne, renvoie les différences les plus essentielles – la fois, la langue, l’attachement aux identités locales dans le domaine privé – pour ne reconnaître comme sujet de l’histoire que le citoyen défini par les droits mutuels universels.
Ces principes, nous les portons avec fierté. A l’heur où nous travaillons à une cause aussi fondamentalement française, il ne peut être question de délibérer sous la pression des mots, des fantasmes et même des leçons de patriotisme.
Si j’adhère aux avancées du Traité de Maastricht en matière de citoyenneté européenne, bien qu’elles soient insuffisantes à nos yeux, vous devez le savoir, c’est parce que le plus grand nombre d’entre nous y voient un pas vers ce qui compte, vers ce que nous voulons et portons sans nous cacher : la volonté de voir naître la nation européenne et, avec elle, le patriotisme nouveau qu’elle appelle. (applaudissements sur les travées socialistes).