Quatre questions sur la crise des migrants dans le 13e
Interview avec Marie Atallah, Yves Contassot, conseillers EELV de Paris, et Suzanne Grandpeix et Patrice Lanco, militants EELV 13e.
Propos recueillis par Frédéric Benhaim.
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Pouvez-vous résumer la situation à laquelle nous avons fait face quai d’Austerlitz ?
Des migrants, de plus en plus nombreux, venant pour la plupart du Soudan et de l’Afrique subsaharienne, vivaient dans des tentes dans des conditions très difficiles, sous la Cité de la Mode ou sous le pont Charles de Gaulle. Peu visibles donc pour les riverains, alors que certains étaient là depuis plus d‘un an. Comme d’autres citoyens et militants associatifs et politiques, nous nous sommes émus de leur situation, en particulier après l’évacuation dans des conditions indignes des migrants installés dans le campement de la Chapelle. Un collectif de soutien s’est constitué au début du mois de juin 2015 avec une quinzaine d’organisations, auquel Europe Ecologie Les Verts 13ème a naturellement participé.
MilitantEs et éluEs se sont impliqués activement dans ce soutien afin de défendre le droit de tous les migrants d’Austerlitz à un accueil inconditionnel et respectueux des droits humains : les migrants demandaient des hébergements décents et pérennes et un accompagnement pour les aider dans les démarches administratives qu’ils décideraient engager.
Des militants EELV ont participé quasi quotidiennement au sein du Collectif de soutien au suivi de la situation des migrants. Ce soutien comportait de nombreux aspects, humanitaires comme l’aide alimentaire et matérielle en liaison avec les associations caritatives, ou l’accompagnement dans les hôpitaux, mais aussi des cours de français quotidiens sur le quai (remarquablement organisés par un réseau de professeures improvisées, et suivis avec assiduité, ces cours ont eu un rôle essentiel), et bien entendu un volet politique : faire connaître la situation dans l’arrondissement, aider à préciser les revendications des migrants en tenant compte des enseignements des évacuations antérieures, porter ces revendications auprès des « autorités », Ville de Paris et Préfecture.
Celles-ci avaient promis les hébergements pour fin juillet, les migrants les attendaient donc, malheureusement en vain, et la prolongation tout l’été d’une situation insupportable, avec des autorités aux abonnés absents, a provoqué beaucoup de tensions. Cela a aussi fait comprendre aux migrants qu’il leur fallait devenir « visibles », ils ont mis des banderoles sur le campement et décidé de participer à des manifestations, chose intimidante pour des gens venant de régions où les droits humains sont bafoués.
Le contact a quand même été renoué avec la Ville début septembre à l’occasion d’un rassemblement et a permis de préparer les conditions d’une « opération de mise à l’abri » (terme préféré par les autorités à celui d’évacuation…) qui aura finalement lieu le 17 septembre.
Du côté des éluEs, notre implication dans la défense des droits des migrants à un accueil digne et humain à Paris s’est traduite par une double action, en tant que militant mais aussi en tant qu’éluEs responsables: visites régulières sur le campement, participation à des réunions de la coordination locale et intervention auprès de la Mairie de Paris et la Préfecture de Région afin d’aboutir à une évacuation des migrants d’Austerlitz dans des conditions dignes et de s’assurer de leur hébergement inconditionnel et adapté à leurs besoins.
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Comment s’est passée l’évacuation et quel a été le rôle des élus et militants ?
Nous avions été prévenus la veille comme promis et avons été présents aux côtés des migrants dès 6 heures du matin. Les demandes du collectif ont été pour l’essentiel satisfaites: la police s’est tenue éloignée des migrants, les personnes qui voulaient rester ensemble ont pu le faire, les hébergements n’ont certes été connus qu’au moment de monter dans les cars mais, pour la première fois lors d’une opération d’évacuation, des militants du collectif, notamment EELV, ont pu y accompagner les migrants pour s’assurer de leur hébergement dans des bonnes conditions. 400 migrants, tous ceux qui le souhaitaient, ont été hébergés, sans aucune discrimination. Grâce à tout le travail de préparation mené en amont par le collectif de soutien aux migrants et par les éluEs EELV, l’opération s’est donc passée dans le calme et le respect des personnes.
Cependant des difficultés sont apparues car la Préfecture avait manifestement eu du mal à réunir à temps toutes les places nécessaires: dans un centre, les migrants sont arrivés avant les lits, d’autres ont été logés à l’hôtel contrairement aux promesses, certains se trouvent très loin sans aucun titre de transport. Et les conditions d’accueil sont très variables d’un centre à l’autre. Le collectif de soutien continue donc il a organisé une permanence hebdomadaire dans le quartier pour les anciens d’Austerlitz, il s’efforce de garder le contact avec tous les centres d’hébergement et veille aux conditions d’accueil et d’accompagnement pour l’accès aux droits. Nous comptons bien enfin que le principe d’hébergement inconditionnel sera respecté et que personne ne sera remis à la rue.
Nous restons donc vigilants mais reconnaissons qu’à Austerlitz, l’Etat et la Ville ont vraiment essayé de tirer les conséquences des conditions déplorables dans lesquelles avaient été évacués les migrants de la Chapelle.
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Quels enseignements tirer pour mieux se préparer, répondre à ces crises, et accueillir de nouvelles personnes ?
L’évacuation des campements parisiens, l’accueil de nouveaux réfugiés, ont eu lieu dans un contexte de pénurie dramatique d’hébergements et de logements accessibles aux plus pauvres, faute d’un développement suffisant de réponses nouvelles. Alors comme le dénoncent dans Libération les 33 organisations du Collectif des associations unies, « on entend qu’avant d’aider ceux qui arrivent, il faut d’abord aider ceux qui sont déjà là, voire ceux qui sont nés ici. Ce positionnement est dangereux et contraire à la dignité humaine et aux droits fondamentaux. » Comme elles l’indiquent, il faut « lancer un grand programme de création de dizaines de milliers de places d’hébergement pérennes et de CADA, de mobilisation significative du parc social et privé vacant en faveur des plus précaires et de relance de la production de logements sociaux aujourd’hui en berne. » Quand on veut, on peut !
Les éluEs écologistes de Paris se sont largement exprimés sur cette question au Conseil d’arrondissement et au Conseil de Paris (insérer le lien du site du groupe des éluEs écologiste). Très brièvement et parmi nos demandes essentielles, nous citons: plusieurs lieux d’accueil pour aiguiller les migrants dès leur arrivée à Paris, des équipes mobiles de veille et d’intervention pour venir en aide aux migrants au plus près de leurs besoins, plusieurs centres d’hébergement temporaires pour leur accueil dans des conditions dignes et humaines et un accompagnement social personnalisé lié à l’accès aux droits
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Expression libre : qu’aimeriez-vous ajouter ?
Nous sommes fiers de rappeler ici notre action politique contre le démantèlement des campements des migrants à Paris par l’intervention des forces de l’ordre. Avec notre implication dans le mouvement citoyen doublé d’une action politique auprès des pouvoirs publics (municipalité parisienne et Préfecture de région) nous avons réussi à faire bouger les lignes en faisant évoluer les méthodes d’intervention et la prise en charge des migrants dans le strict respect des droits humains.
Notre engagement pour la défense des droits des migrants à Paris est sans équivoque depuis le début de la crise et nous regrettons effectivement le fait que notre président et son gouvernement n’y aient réagi que tardivement en annonçant de véritables mesures permettant de prendre en charge l’accueil des migrants en France et à Paris.
Enfin, Les éluEs et militants d’Europe Ecologie Les Verts tiennent ici à saluer toutes les associations et les citoyens qui se sont impliquées dans cette belle action de solidarité, Ils nous confortent dans nos convictions et nous donnent des forces pour poursuivre dans notre action politique afin de contribuer à ce que Paris puisse rester une ville solidaire et ouverte sur le monde.