Tours géantes dans le 13e: réponse d’APLD 91 au Monde
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Non à la construction des deux tours à Paris-est

 

L’opinion de notre association exprimée ici est suscitée par votre éditorial « Que poussent les gratte-ciel à Paris ! ». Si ce n’était un éditorial, nous aurions attendu que les élections passent. Mais l’importance donnée à ce sujet en première page du Monde nous incite à faire part de notre expérience de plusieurs années sur le secteur à l’Est de la capitale où deux des tours projetées sont prévues.

Nous avons fondé notre association APLD 91 fin 1991, au tout début du lancement du projet Paris rive gauche. Parcelle de 130 hectares de l’Est de Paris dans le secteur Masséna-Bruneseau où s’implanteraient les tours citées dans votre article.

L’aménagement de ce morceau de ville bénéficie de la première et la plus grande concertation dans son genre obtenue en 1997, pour l’accompagner au plus près par diverses associations, dont la nôtre, qui compte 8 200 sympathisants.

D’où l’attention que nous avons portée à votre éditorial qui plébiscite l’arrivée des tours à Paris. Nous ne contestons pas vos arguments, mais voulons que soient connus les nôtres, puisque nous avons investi temps, énergie, bénévolat depuis des années pour qu’il y ait autre chose que ces immeubles de grande hauteur (IGH).

Dès 1998, APLD 91 demandait à ce que certaines activités industrielles gardent leur place sur les quais de Seine. Puis nous avons développé à partir de notre expérience de mélange des professions la proposition pour Masséna.  De là est née sur notre proposition l’étude complémentaire acceptée par la concertation pour qu’il y ait l’installation d’ateliers de petites entreprises, de métiers d’art et d’artistes. (Entendu par les aménageurs sous le vocable de PME, ce qui est insuffisant). Nous les désignons comme des structures « modestes », si nécessaires dans la ville. Encore plus maintenant avec les difficultés rencontrées par les grandes entreprises moins souples dans leur adaptabilité.

Pourquoi là ? Pour utiliser de manière optimale le réseau routier, les rails et le fleuve existants sur Bruneseau Nord. Situation rare et qui permettrait avec quelques mises en connexion de créer un réseau d’ateliers ayant de ce fait des moyens de transport (et de déplacements) rapides et économes. Les bases de cette logistique, habituellement coûteuse à mettre en place, sont toutes données  ici. Nombreux économistes de pays industrialisés disent que le plus important est de développer les petites entreprises. C’est une chance qui risque d’être gâchée une fois de plus pour construire des surfaces de bureaux…

Ni parti politique, ni force syndicale, l’association APLD 91 est fidèle à ce principe de la création de lieux modestes qui sont inscrits dans le PLU au titre de la mixité urbaine. Et répétons-le, n’existant toujours pas malgré cette règle, sur la partie déjà construite sur PRG. Les 85 000 m2 prévus à cet effet ne sont toujours pas clairement désignés. Il ne reste plus que 38 hectares à aménager et cette ultime chance de satisfaire les besoins en ateliers. Quelle est la plus grande entreprise française ? Le réseau des petites entreprises. Nous y associons depuis des années les TPI, métiers d’art et ateliers d’artistes ; tous ont les mêmes besoins en type d’ateliers et en transport.

On ne peut que répéter que les tours à cet endroit de Paris rive gauche rendraient impossible la création de ce « village » d’ateliers. Paris en a besoin, l’économie générale en a besoin. Les bureaux luxueux ne rapporteront pas forcément plus. Que vient de dire Mario Draghi devant les eurodéputés ? « Il nous faut maintenant revenir en arrière et construire un pacte de croissance ». Construire des sièges sociaux, des bureaux pour de grandes entreprises du CAC 40, est-ce là la bonne réponse ? Ne faut-il pas plutôt construire des lieux de production, favoriser l’économie réelle ? Les sièges sociaux rapportent des taxes à la ville, mais leurs activités pourraient être développées n’importe où, au lieu de prendre des terrains facilement adaptables aux professions mentionnées.

Pour mémoire, ce groupement des professions existe sur le site appelé « les Frigos », proche de Masséna. Il nous faut ici évoquer le think tank « Ville hybride » fondé par Michael Silly , sociologue, qui rejoint cette même préoccupation pour la mixité ; il mentionne le futur contrat territorial (CDT) qui doit à terme « établir une articulation faisant sens, entre politiques publiques descendantes, et initiatives ascendantes, issues des acteurs de terrain, en très forte résonance avec les habitants (acteurs incontournables de la transformation de ces territoires) ». CDT : « Ce terme un peu barbare comprend des organisations au sens large (associations, coopératives, TPE, PME, grands groupes) travaillant dans les domaines de l’art et de la culture (plasticiens, musiciens, peintres, sculpteurs, ébénistes…), de l’artisanat d’art (orfèvrerie, métaux précieux…) et des filières liées au théâtre, au spectacle vivant, à l’audiovisuel et au cinéma (auteurs, comédiens, producteurs, costumiers, décorateurs, techniciens…) ainsi qu’au numérique (web designers, éditeurs de logiciels… »

Précisément tout ce qui existe déjà depuis trente ans dans les ex-entrepôts frigorifiques et qui nous a servi d’appui pour proposer le projet de village à Masséna. Ces convergences sont significatives. Hasard ou nécessité ? Nous optons pour le second terme.

Jean-Paul Réti, pour l’association APLD 91.

Le Monde.fr | 03.05.2012 à 08h52

 

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A voir / à lire : le blog de la ville hybride

 

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L’article du Monde paru dans l’édition du 27.04.12 à l’origine de la tribune de JP Reti

 

Que poussent les gratte-ciel à Paris !

 

Des silhouettes déhanchées, des façades colorées et vibrantes, des jardins en terrasses, 175 mètres de hauteur pour l’une et 135 mètres pour la seconde : la paire de gratte-ciel conçus par l’architecte Jean Nouvel et qui devraient être érigés dans le quartier Masséna, à Paris, d’ici à 2018, va, à n’en pas douter, susciter la polémique.

 

Dévoilé en début de semaine par la Mairie de Paris, ce projet signe, en effet, le retour des constructions de très grande hauteur dans la capitale. Depuis l’inauguration de la tour Montparnasse, en 1976, les gratte-ciel ont en effet été bannis du paysage parisien, ratiboisés par des règlements draconiens qui limitaient sans pitié la hauteur maximale autorisée des constructions.

Depuis que Bertrand Delanoë a rouvert le débat, il y a une huitaine d’années, cette sempiternelle bataille des Anciens et des Modernes n’a pas cessé. Le maire de Paris avançait pourtant de solides arguments : une capitale enserrée dans ses frontières historiques, dépourvue de terrains à construire, étouffant sous les prix du mètre carré, quand manquent les logements autant que les équipements collectifs. Comment répondre à ces besoins sans faire pousser la ville en hauteur ? Et M. Delanoë ajoutait, prudemment, que Paris ne saurait renouer avec les gratte-ciel sans exigences esthétique, environnementale et sociale.

Rien n’y fait, pourtant. Depuis des lustres, les tours ont rebuté les amoureux de Paris. Il y a plus d’un siècle, déjà, Dumas et Maupassant s’offusquaient de l’édification en bord de Seine d’un très haut bâtiment en forme de cheminée – la tour Eiffel – promis, depuis, à une belle postérité. Dans les années 1960 et 1970, encore, la révolte fut vive contre la tour Montparnasse ou les quartiers des Olympiades ou Beaugrenelle.

Il est vrai que leur modernisme naïf et intempestif ne plaidait pas en leur faveur et a fourni, pour longtemps, des arguments à tous les conservatismes et à toutes les frilosités. Il n’en manque pas : les heureux habitants d’une capitale embourgeoisée et « boboïsée », ces privilégiés de l’intra-muros, capables d’assumer des prix de logement de plus en plus inabordables, entendent plus que jamais protéger cet entre-soi.

Comment ne pas comprendre, pourtant, que la défense à tout prix d’un urbanisme à taille humaine et le plaidoyer sans nuance pour la préservation du patrimoine parisien menacent d’embaumer la ville, de stériliser sa vitalité et son développement, de la transformer dans une sorte de ville-musée, séduisante mais figée. A la mode Amélie Poulain…

A cet égard, le projet de Jean Nouvel, comme ceux qui s’échafaudent laborieusement à la porte de Versailles avec la Tour triangle ou aux Batignolles avec le projet de tribunal de grande instance, apportent des réponses encourageantes.

Les gratte-ciel ne sont pas la seule expression d’une intelligence architecturale. Mais ils démontrent que, dans la compétition internationale des grandes capitales, Paris n’a pas abdiqué toute audace, tout désir d’innovation architecturale, toute capacité de réinventer son propre paysage.